Cette année, fi des minets glabres aux marcels moulants, des tomates séchées, des vieilles divas décaties à la perruque de traviole et des duos de brouteuses supposées ; la Russie a décidé de faire peau neuve… Enfin, peau neuve… tout est relatif au pays de Poutine, lorsque l’on sait que la moins décatie des Buranovskie Babuški affiche 44 printemps contre 86 à la doyenne, qu’on a pas osé hisser sur scène… Et les mamies russes (après les papyrus…) décrochent une impensable médaille d’argent avec leur « Party for everybody », mélange d’anglais (ou prétendu tel), de russe et d’oudmourte, chanté de manière assez approximative.
Et les matriochkas ne plaisent que très modérément aux 33 eurofans ayant consenti un commentaire, eurofans habitués à plus de sérieux et de justesse de chant. Dominique Dufaut « aime beaucoup, sans doute parce que ça fait « très russe » et qu’il faut une bonne dose de second degré pour les avoir envoyées au Concours », avis partagé par Eric Gérôme qui a trouvé la prestation russe « sympathique comme un clin d’œil ». Mais Alain Mailfert tempère cet enthousiasme en remarquant que « le côté bon enfant et l’entrain folklorique des mamies russes ne masquent pas une prestation artistique et vocale d’un faible niveau ». Et là, question canards, couacs et fausseté de chant, pas besoin d’insister, les critiques coulent d’elles-mêmes…
Pour Richard Plumel, c’est « faux de bout en bout », alors que Franck Sajet fustige des « mémés russes édentées qui chantent faux » et que Michel Estades conçoit qu’elles « chantaient faux, mais leur enthousiasme faisait plaisir à voir ». Et c’est indéniablement ce qui a permis aux mémés de si bien se classer. Leur relative inexpérience, leur sens du rythme tout particulier, et surtout le fait que l’on les identifiait à nos propres aïeules ont séduit, comme le confesse Laurent Ots : « elles m’ont fait penser à ma grand mamie ».
« Juste comme tout le monde, remarque Rudy Ponard, ce sont nos mamies… C’est faux à mort, ca chante pas en même temps sur une mise en scène approximative mais ça donne tellement la patate et la joie de vivre », ce que confirment Jeff Favreau, emballé par ces mémés « déjantées mais avec tellement de sincérité, émouvantes et pleines de vérité » et Nikola Bogdan Benoît pour qui « peu importe qu’elles chantent comme un four à pain, qu’elles dansent genre la farandole de Jeanne Calment (son premier et unique CD), elles avaient du punch de la bonne humeur et de la tendresse, on avait envie de les prendre dans nos bras et leur faire des bisous tout plein ». Euh, pas trop, elles risqueraient de perdre leurs écrous…
Pour Guy Barbarino, c’est « un spectacle affligeant », car « les mamies étaient amusantes mais elles étaient gâteuses » de l’avis de Francis Rolo, alors que Stéfan Ducher y voit « un pur bonheur » et qu’Alexandre Lemarquis estime que « ça va recruter fort l’année prochaine dans les maisons de retraite » ce dont Mariano Serrano se fait l’écho en proposant d’envoyer au casse-pipe « Sheila, Sylvie Vartan et Françoise Hardy ». J’en connais deux à qui ça va faire particulièrement plaisir, ça…
« Avec les goûts du public, prévient Fabien Blanckaert, il fallait s’attendre à un bon classement », mais Etienne Sevrin croit deviner que « ce ne sont pas les mamies qui ont rapporté autant de points à la Russie, mais la méga-giga-téra mise en scène des p’tits gâteaux et la folle chorégraphie du sublissime four », ce qui fait dire à Charles-Olivier Pons que la Russie était « sponsorisée par les cheminées René Brisach ». Pour Patrick Pecquery, ça n’a « rien à faire dans les dix premiers », alors que Lisa Sebestyén trouve la seconde place « pas mal » et que Philippe Perrel pense la prestation « ne méritait franchement pas la seconde place dans le classement final », Didier Paulic espérant même « les trouver dans le bottom five ». Et pour cause, « les mamies presque grabataires qui chantaient en costume traditionnel un chant populaire remixé avec un son technoïde était le comble du kitsch » pour Hugues Dietlin qui, perfide, se demande in petto si, avec les antiquités russes et anglaise sur les rangs, « les organisateurs avaient prévu déambulateurs, défibrillateurs et ambulances en double file »…
Quoi qu’il en soit, la « pause clope » d’Olivier Dalloz fait se questionner Vincent Valmard, « partagé entre fou rire, respect, gaieté, surprise, interrogation, bref, une interprétation qui ne laisse pas indifférent et qui visiblement n’a pas laissé indifférent l’Europe non plus », sentiment confirmé par Jean-Pierre Perez qui a noté la « folie dans la salle » lors de cet essai russe « bien tenté » au goût de Stéphane Laurent. « Elles sont vieilles, elles sont moches, elles chantent faux, persifle Pascal Cazin, mais on s’en fout c’est ça l’Eurovision ! Il fallait oser mais au moins elles ont fait leur effet », et « cela nous change des petits minets imberbes » souligne Emmanuel Jaccard. Les mémés avaient certainement plus de poils au menton que Dima Bilan…
Bref, « l’Eurovision aime l’originalité » constate Nicolas Lecoq, mais « si on avait su qu’il suffisait de faire des gâteaux pour décrocher la seconde place, on aurait envoyé Maïté depuis belle lurette » ricane Farouk Vallette.
En guise de conclusion, Anthony Ragot souligne « le retour des chansons « gags » à l’Eurovision ou comment détruire les efforts des années précédentes pour déringardiser le concours » avec six mamies russes qui « faisaient peut-être cuire des gâteaux sur la scène, mais [qui] nous ont servi une belle daube ». « Finalement, remarque Frédéric Feder, c’est effectivement dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures « soupes » »…
Soupe et daube russes… Fallait avoir l’estomac bien accroché…