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Lors de la conférence de presse du gagnant de l’Eurovision 2023, le spectacle du Superviseur exécutif du Concours, le Suédois Martin Österdahl, remettant à la cheffe de délégation également suédoise,Lotta Furebäck, le dossier d’organisation du Concours 2024 était plutôt cocasse. En mai prochain, à Malmö, au sein de la production, on sera en famille, pour un show 100% suédois.
La marque de la Suède sur le Concours, qu’elle a organisé deux fois dans un passé récent, est incontestable. L’Eurovision s’est « Melodifestivalenisé », le pays nordique imposant le modèle de production et les codes de sa sélection nationale. Alors oui, nous avons un beau produit, avec le clinquant, les strass et les paillettes qui vont avec, un show télé où tout est calibré au millimètre, et dans lequel la moindre improvisation est bannie. Tout y est programmé, même les instants d’émotion. Ce concours de chansons se veut un spectacle de chant live, mais les choristes ont disparu, remplacés par des choeurs enregistrés. La musique est également une bande son enregistrée, au point qu’on assiste au triste spectacle de prestations avec des musiciens, batteurs, saxos ou guitaristes, s’excitant sur des instruments qui ne produisent aucun son. Du fake.
Que dire de l’équité entre les concurrents ? Depuis que la production fixe l’ordre de passage, elle a disparu. Les favoris sont avantagés et la production ne craint pas de se contredire en déclarant que l’ordre de passage n’est pas important tout en plaçant systématiquement ces favoris en fin de première partie quand ils tirent celle-ci au sort. Après tout, pourquoi ne pas avoir placé la Suède, mega-favorite cette année, en position 2, 3 ou 4 ? Ça n’aurait sans doute eu aucune incidence sur le résultat final. Loreen devant avant tout sa victoire aux jurés professionnels, et on n’ose imaginer que l’ordre de passage puisse influencer leurs choix, comme on le suppose pour le public.
D’ailleurs, qu’elle soit favorite ou pas, la Suède bénéficie d’un traitement de faveur, ce qui n’est pas le cas d’autres pays. L’Albanie par exemple, a été positionnée en finale en 2 en 2019 et à nouveau dans l’édition suivante en 2021, ce qui a provoqué un fort et légitime mécontentement dans la délégation albanaise. Se retrouver une troisième fois en tout début de programme aurait été la goute de trop, on lui a donc accordé une généreuse position 10 cette année. La France n’a pas été mieux traitée, puisqu’elle s’est retrouvée en position 6 en 2022 et encore en 2023. Les voix enregistrées ne seraient, parait-il, plus autorisées pour 2024. Ce serait enfin un progrès après des années de dézingage, la moindre des choses pour un spectacle live, c’est que ce qu’on nous présente soit effectivement du live. On sera prudent et on attendra pour voir…
Le Concours 2023 fut néanmoins une jolie réussite, la BBC montrant que la SVT n’est pas la seule à être capable de produire un Eurovision de qualité, d’autant plus difficile à réaliser dans le contexte d’une double-organisation ukraino-britannique. On peut la féliciter pour ce résultat.
Le nom du gagnant était attendu, mais on aurait aimé que la seconde victoire de Loreen à l’Eurovision, qui fait d’elle la seule avec l’Irlandais Johnny Logan à avoir remporté le Concours deux fois, ait été obtenue avec l’appui franc et massif du public. On notera en effet qu’elle n’a remporté aucun « 12 points » au télévote. C’était quand même un peu gênant que la Suédoise soit proclamée gagnante quand le public scandait « Cha Cha Cha », qui avait reçu, lui, pas moins de 18 fois les « 12 points » des téléspectateurs. Ce sont les jurys qui ont fait pencher la balance du côté de la Suédoise en sous-notant le Finlandais Käärijä, comme en 2016, où Il Volo, plébiscité par le public, avait été classé seulement à la 6eme place par les iurvs. « Cha Cha Cha » ou « Grande Amore » meritaient-ils un Jugement aussi sévère des professionnels ? Selon les eurofans, le 50/50 jurvs-télévote, est le moins mauvais des systèmes (voir Cocoricovision n°94), mais il génère beaucoup de frustration et parfois un sentiment d’injustice. Ces jurys, qui pèsent 50% des votes, ne sont pas toujours intègres, comme ils l’ont montré l’an dernier. Cette année, ils ont fait profil bas. En témoignent les quatre petits points attribués par le jury grec à Chypre. Mieux valait ne pas susciter à nouveau la suspicion. On espère que ces bonnes intentions seront durables.
Pour les médias Eurovision présents sur place, 2023 fut une année bien tristounette. En 2022, on nous avait sucré la moitié de la première semaine de répétitions. Cette année, on nous a carrément supprimé cette première semaine. Des délégations se sont émues de ce nouveau format dans un courrier adressé à l’UER, estimant qu’il n’était pas juste pour les participants de la première demi-finale Certains n’ont en effet profité de l’Eurovision que trois jours, et le lendemain de la cérémonie d’ouverture, ils sont rentrés chez eux. Heureusement qu’il y a eu les pre-parties du printemps, sans quoi je ne sais pas ce qu’ils garderaient comme souvenir de leur participation à l’Eurovision.
Mais après tout pourquoi s’encombrer de journalistes ? Prière désormais de s’en tenir à la communication officielle, et surtout d’éviter les questions dérangeantes, auxquelles d’ailleurs on ne répondra pas. Évoquer le coût de la compétition, le partenariat encombrant avec TikTok, les chœurs enregistrés ou les modalités du télévote est donc très malvenu, car tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
La production veut absolument innover, mais une idée nouvelle peut aussi d’avérer incongrue. Les journalistes ont un peu halluciné lors de la générale de la première demi-finale, quand tous les artistes ont été invités à monter sur scène pour s’entendre annoncer le nom des qualifiés, comme dans un vulgaire télé-crochet. Que c’était gênant de les voir alignés en rang d’oignon sur la scène attendant le verdict. Fort heureusement cette idée idiote fut abandonnée.
L’an prochain on retourne donc en Suède ce qui satisfait beaucoup d’eurofans, ou plutôt ceux qui auront les moyens de s’offrir le voyage. Le fabuleux Concours de Stockholm, le préféré de la décennie 2010 (voir Cocoricovision n°83) reste présent dans toutes les mémoires. Mais ça va coûter un bras. Les prix à Liverpool en 2023, notamment le logement, ont explosé, alors vous imaginez pour Malmö 2024…
Il parait que l’UER se préoccupe également du manque de diversité dans le public, où il y aurait trop de garçons. C’est charitable de leur part. On aurait aimé que l’instance s’intéresse également à la diversité sociale. Je ne sais pas si on aperçoit beaucoup de filles au Concours, mais on n’y croise pas vraiment des bandes de Croates, de Moldaves ou de Lettons déchaînés, les spectateurs filmés agitant les drapeaux de ces pays étant des CSP+ allemands, néerlandais ou britanniques. Encore du fake…
Si la Suède a remporté le trophée, qu’est-il arrivé à la France ? Elle est repartie de Liverpool avec la gueule de bois. On espérait un Top 10, on termine à la 16ème place. La mise en scène a déçu. Elle n’apportait rien à notre proposition, car La Zarra surélevée sur son podium ou simplement sur scène c’était du pareil au même. Nous avions une bonne chanson et l’artiste qui la portait était talentueuse. « Évidemment » avait des qualités, mais au petit jeu des comparaisons, jurys et téléspectateurs ont préféré d’autres contributions. Et pour une fois qu’on proposait un titre dansant, les jurys ont préféré s’éclater sur la chanson belge. C’est ballot. Alors quand on classe, une fois passé le Top 10, le reste est approximatif. Donc 11eme ou 16ème c’est kif-kif. 23 points seulement nous séparent de la chanson lituanienne, 11ème, ce qui est peu.
Et puis il y a eu le doigt. Ce geste de La Larra, après l’annonce de ses 50 points reçus au télévote, est un désolant manque de fair-play, surtout quand on compare sa réaction à celle, quelques instants plus tard, de l’Espagnole Blanca Paloma, qui, alors qu’elle ne recevait que 5 petits points du public, lança aux téléspectateurs un charmant « Gracias » agrémenté d’un joli sourire. Le chic ce soir-là n’étaient pas français, il était espagnol.
On plaint la délégation française d’avoir eu à ramer pour fournir une explication à ce geste malheureux et polémique, ce « toz » qui, parait-il, ne serait « pas un geste qui est négatif », mais juste « un geste de déception qu’on utilise entre amis. » Ça n’a convaincu personne.
Ce geste idiot, La Zarra va le trainer comme un boulet, et c’est bien dommage, car l’avant vue en concert à la Salle Pleyel, c’est un autre visage qu’elle nous a montré, drôle et plein d’autodérision. Des spectateurs, La Zarra n’en verra pas beaucoup cette année, plusieurs dates de sa tournée avant été annulées. Rebondir sera donc compliqué, mais si la Québecoise et son manager Benny Adam nous pondent un nouveau tube, dans la veine du très plaisant « Tu t’en iras », ce sera oublie. On attend donc avec impatience le nouvel album qu’elle nous a promis.
Ce Concours 2023 s’est avéré riche, notamment par la qualité des artistes prenant part aux interval acts. On était ravis de revoir les Ukrainiens Tina Karol, Alyosha, Verka Serduchka, Jamala, Go_A et bien sûr Kalush Orchestra, que j’ai eu le plaisir d’applaudir à l’Euroclub, et une demi-douzaine d’anciens participants. C’était aussi un plaisir d’apercevoir, certes furtive-ment, Andrew Lloyd Webber, Joss Stone ou la duchesse de Cambridge, sans oublier la prestation remarquable et remarquée de Rita Ora. Enfin, le phénomène Drag Race n’est sans doute pas étranger à présentation d’un numéro de drag queens, une première au Concours, mais qui arrive plus de vingt ans après les premières drags de l’Eurovision, les Slovènes Sestre en 2002.
En attendant de nous pencher sur le Concours 2024, avec bien entendu la révélation, par une sélection nationale ou pas, de notre futur représentant, nous poserons nos valises à Nice pour l’Eurovision Junior, le second à être organisé dans notre pays en trois ans. Ce sera le 26 novembre prochain sur la scène du Palais Nikaïa avec un slogan tout droit sorti des références majeures du Concours, « Heroes ».
Farouk Vallette
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