cocoricovision #71

cocoricovision #71

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interview


cocoricovision a eu la chance de rencontrer notre représentant pour l'Eurovision 2016.
Découvrez son interview sur la page France 2016.

l’édito du rédacteur en chef

« Mais pourquoi donc s’obstine-t-on à participer à l’Eurovision ? Chaque année, c’est le même naufrage ». C’est généralement ce qu’on entend ou qu’on lit dans la plupart des médias quand, au mois de mai, le représentant français rentre au pays avec dans ses bagages, non pas le trophée, tant attendu depuis 1977, mais une des dernière places au concours. C’est aussi une des questions posées par Mathilde Cesbron, qui a décidé de prendre les devants dans un article « Eurovision : pourquoi la France est condamnée à perdre chaque année », paru dans « Le Point » en ce début mars. Cette question c’est l’éternelle question idiote posée par une presse française complètement à côté de la plaque sur le sujet.
 
Oui il faut participer, d’abord parce que l’Eurovision c’est une fête. La fête de la pop européenne. Un grand show qui a gagné ses lettres de noblesse par le sérieux et la qualité de son organisation. Une émission de télévision qu’on aime regarder en famille ou entre amis et qui a le mérite, une fois par an, de faire découvrir à nos petits esprits obtus et généralement peu attirés par une certaine forme de diversité musicale une petite partie de la variété européenne. Et dans une période morose, alors que chacun a tendance à se replier sur soi, continuer de réunir sur une scène des artistes venant des quatre coins du continent c’est plutôt réjouissant et sympathique.
 
Pose-t-on la question aux sportifs ? Pourquoi participer à la coupe du monde de foot ou à la ligue des champions, où nous n’avons soulevé le trophée qu’une seule fois ? Pourquoi Rennes ou Toulouse participent-ils à notre ligue 1, qu’ils n’ont jamais remportée, et qui après avoir été dominée par Lyon l’est aujourd’hui par le PSG ? Pourquoi s’obstine-t-on à envoyer des Français à Roland Garros où aucun de nos compatriotes n’a gagné depuis 1983 ? Cet esprit de mauvais perdant est bien loin de celui de Coubertin qui dit que l’important c’est de participer (Pour être exact c’est « L’important dans la vie ce n’est pas le triomphe, mais le combat, l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu »).
 
Dans toutes les compétitions, il y a des perdants. Mais une fois la défaite consommée, il faut se relever et à nouveau aller de l’avant. D’autant plus que nous sommes privilégiés. En effet, nous faisons partie des cinq pays qualifiés directement pour la finale quand tous les autres doivent passer par une demi-finale. Ainsi la petite Lettonie, absente de la finale de l’Eurovision depuis 2008, ne s’est pas découragée à l’issue du concours 2014, où elle a été une nouvelle fois éliminée en demi-finale. Elle s’est inscrite pour le concours 2015. Sans états d’âmes. Elle a organisé sa sélection nationale, remportée par une certaine Aminata, promise, selon les spécialistes, à une nouvelle élimination prématurée en demi-finale tant sa chanson paraissait au premier abord décalée et peu accessible. Mais ce choix audacieux cumulé avec une prestation époustouflante a porté la jeune chanteuse en finale, et cerise sur le gâteau, à une 6ème place inespérée.
 
Les Français sont bien souvent de mauvais perdants. Nos échecs successifs sont d’autant moins compréhensibles que nous sommes persuadés de faire la plus belle musique du monde, de celle que le monde entier nous envie, mais qui nous la laisse … On cite jusqu’à plus soif les succès internationaux de Daft Punk et David Guetta. Mais ce sont les seuls. Si on ajoute Edith Piaf, Maurice Chevalier et Jean-Michel Jarre nous avons la quinte des artistes français ayant réussi au-delà de nos frontières. En 80 ans de musique c’est un peu léger, non ? La chanson française s’exporte mal, reconnaissons-le. De temps en temps un tube français, comme « Dernière danse » d’Indila, traverse le continent mais ça reste un épiphénomène. Alors puisque nous ne gagnons pas l’Eurovision, on le dénigre. Le concours serait mauvais, ringard, et dépassé. A la mesquinerie on ajoute donc la mauvaise foi. Comment s’étonner après ça qu’on nous apprécie peu à l’étranger ?
 
L’Eurovision est une compétition et malheureusement pour nous la plupart des autres concurrents veulent gagner aussi ! Et pour cela ils soignent leur prestation, au millimètre près. Résultat, beaucoup de pays proposent des « whole package » (artiste + chansons + mise en scène + visuel) efficaces et qui se remarquent, car, dans une finale à 27, il est important de sortir du lot pour espérer gagner. Poser notre représentant sur la scène de l’Ericsson Globe et le faire simplement chanter ne sera donc pas suffisant. Il y a tout un travail à faire sur la préparation de sa prestation. Ce que nous avons proposé l’an passé pour Lisa Angell est encourageant. La prestation de Jessy Matador avait aussi impressionné en 2010. Nous en sommes donc parfaitement capables et il faut poursuivre nos efforts en ce sens.
 
J’oubliais les incessantes allusions aux fameux votes « géopolitiques » et à ces méchants pays qui votent les uns pour les autres et se partagent allègrement les points. On ne peut nier qu’il y ait ce type de votes à l’Eurovision. Mais pourquoi s’en étonner ? Le site « Délits d’opinion » évoque « une forte homogénéité culturelle et historique » parmi les nations qui s’échangent les points. Il y a aussi une dimension communautaire affective qui donne un avantage à des pays aux fortes diasporas, récentes comme la Roumanie, ou plus anciennes comme l’Arménie. Mais ces votes sont insuffisants pour faire un gagnant, car pour gagner il faut marquer partout. L’influence des votes « géopolitiques » se limite donc à la seconde partie du classement pour départager les perdants, et à ce petit jeu, sans une chanson forte, isolés et sans amis, nous avons de grandes chances de nous retrouver dans les dernières places et de voir l’Albanie ou le Belarus être devant nous avec une chanson pire que la nôtre. Mais finalement être 16ème ou 24ème, quand les neuf premiers ont trusté 80% des points comme en 2015, c’est à peu près la même chose. Il ne faut donc pas s’en formaliser.
 
Reste le coût supposé du concours. Il n’est pas plus élevé qu’un prime time sur France 2. Ne pas participer n’économiserait donc pas un centime à la chaîne. Quant aux esprits chagrins adeptes de programmes soi-disant de qualité et qui se réjouiraient de cette non-participation, qu’ils n’oublient pas qu’à la place ils auraient droit à une séance supplémentaire des « Années Bonheur » de Patrick Sébastien. Je ne parlerai même pas de l’adage qui dit que nous ne voulons pas gagner pour ne pas organiser l’année suivante tant il est extravagant.
 
Finalement la France peut-elle gagner l’Eurovision ? Oui. Avec une bonne chanson, une mise en scène efficace et accrocheuse, des artistes talentueux, une équipe derrière qui travaille son sujet jusqu’au moindre détail, nous pouvons gagner. Des pays isolés et sans amis comme l’Allemagne et l’Autriche l’ont fait récemment.
 
Nous avons un nouveau chef de délégation, Edoardo Grassi. Il a travaillé sur le sujet et a proposé un programme à Nathalie André, responsable des divertissements de France 2, qui l’a accepté et lui a demandé de prendre en charge notre délégation. Une nouvelle orientation a semble-t-il été prise. Ainsi, c’est avec une chanson en français et en anglais, « J’ai cherché », tout à fait dans l’air du temps, qu’Amir, jeune artiste talentueux passé par « The Voice », va défendre nos couleurs à Stockholm. Il reste deux mois à l’équipe française pour travailler sa prestation et trouver la grande idée pour qu’elle marque les esprits sur la scène de l’Ericsson Globe le 14 mai prochain, et espérer faire un bon résultat.

Farouk Vallette